Par Jean-Claude Mulindahabi
Dans
quelques semaines, le Rwanda commémore pour la 20è fois le génocide
perpétré contre les Tutsi de l’intérieur du Rwanda, au cours duquel Hutu
et autres ont été tués selon la nouvelle appellation adoptée par l'ONU.
Après cette tragédie, et dès le jour où les armes se sont tues, un des
défis majeurs était la réconciliation. Le régime en place se réjouit du
travail déjà fait alors que l’opposition (principalement en exil) ne
cesse d’exprimer ses critiques et revendications tout en exigeant un
dialogue national. Qu’est-ce qui a été réellement fait jusqu’à
maintenant ? Qui aurait pu se réconcilier avec qui, et de quelle manière
? Y a-t-il lieu d’espérer une réconciliation réussie dans un proche
avenir ?
Qui
se réconcilie avec qui ? La réponse qui est souvent donnée à la hâte,
est que ce sont les deux principales ethnies qui devraient se
réconcilier. À ce jour, le problème a dépassé ce niveau et a touché le
peuple au-delà de ces considérations ethniques. (Il convient de
constater que toutes les ethnies sont représentées au sein de la classe
politique au pouvoir et parmi les exilés). Donc, il faut chercher le
fond du problème ailleurs. D’une manière générale, les conflits
politiques commencent toujours avec ceux qui concourent à l’accession du
pouvoir eux-mêmes, les citoyens ordinaires n’étant qu’instrumentalisés
ou de simples suiveurs dans ce jeu. Parfois, quand ils s’adressent à la
population, les politiques dissimulent le nœud du problème et le
présentent sous une autre forme pour pouvoir bénéficier du soutien et de
l’adhésion du peuple. C’est ainsi que certains leaders (qui honnêtement
ne méritent pas ce nom) ont, à un certain moment, fait recours à
l’indigne stratégie de diviser pour régner, en opposant une partie du
peuple à une autre.
À
vrai dire, en ce qui concerne le Rwanda, depuis plusieurs décennies, le
problème réel et profond, en soi, ce n’est pas tant un problème
ethnique. Le nœud du problème, c’est d’abord le mode d’accession au
pouvoir et la confiscation de celui-ci sur la base d’interprétations
historiques tendancieuses. Un autre point, corolaire du premier,
concerne la gouvernance démocratique qui reflète l’exclusion totale ou
partielle de certaines catégories de la population. D’aucuns n’hésitent
pas à dire qu’il n’est ni juste, ni équitable, ni conforme aux normes de
la démocratie. À part les critiques des politiques, les différentes
Organisations Non Gouvernementales abondent dans le même sens (à titre
d’exemples, International Crisis Group, Amnesty International, Human
Rights Watch, …).
Le
vrai problème, c’est donc s’arroger le droit de présider aux destinées
de l'État par diverses façons anti-démocratiques, y compris le truquage
institutionnel, en détournant la souveraineté et la légitimité du
peuple. La véritable difficulté, c’est aussi l’absence d’institutions
compétentes fortes, capables d’équilibrer le pouvoir et d’imposer les
règles de jeu crédibles et transparentes dans la compétition politique
et la consultation du peuple par la voie électorale. La terrible
asphyxie d’un pays, c’est quand un seul homme est capable d’avoir à sa
guise et sous son contrôle, l’armée, l’appareil judiciaire, le
législatif et l’exécutif comme c’est souvent le cas en Afrique.
Après
la tragédie rwandaise, le génocide qui s’en est suivi et les tueries
subséquentes transfrontalières, le gouvernement rwandais s’est doté de
deux principaux cadres institutionnels pour lancer le processus de
réconciliation. Il s’agit de la Commission Nationale pour l’Unité et la
Réconciliation (la CNUR) et des juridictions Gacaca. À première vue, les
objectifs de ces deux instances étaient considérablement
impressionnants, estimables et louables, à tel point qu’elles donnaient
un réel espoir de reconciliation au peuple rwandais. Mais force est de
constater le nombre de Rwandais de toutes ethnies et de toutes tendances
politiques confondues qui continuent de fuir le pays. Ce phénomène
s’est même propagé au sein du FPR (parti majoritaire au pouvoir) où des
dissidents et non des moindres ont pris de nouveau le chemin de l’exil.
Qu’en est-il réellement de ce phénomène ? Faut-il rappeler que la CNUR
avait pour principale mission la promotion de l'unité et la
réconciliation du peuple rwandais ainsi que la sensibilition des
Rwandais à la défense de leurs droits fondamentaux ?
Quant
aux juridictions « Gacaca », le gouvernement rwandais préconisait juger
le grand nombre de détenus soupçonnés d’être impliqués dans le crime de
génocide, et par là éradiquer la culture de l’impunité. De plus, cette
méthode apparentée au tribunal populaire avait été privilégiée,
parait-il, pour contribuer à la réconciliation à travers la libération
de la parole, la recherche de la vérité et la catégorisation des accusés
en termes de niveau de responsabilité. Cependant, que ce soit pour la
CNUR, que ce soit pour les juridictions Gacaca, le travail déjà fait ou
en cours n’a pas été construit sur une fondation profonde et solide ; à savoir la vérité et la réalité de l’histoire vécue et connue par les Rwandais eux-mêmes.
Le
génocide perpétré contre les tutsi est un crime grave, indéniable et
qui doit être sanctionné, afin qu’il ne se reproduise plus jamais. Au de
là de ce drame rwandais, et au vu de ce qui s’est passé, il aurait
fallu que les dirigeants au plus haut sommet de l’Etat aient aussi le
courage, la volonté politique, et ce, dans l’intérêt général de la
nation, de ne pas se voiler la face devant la réalité de l’histoire.
Faut-il nier ou faire semblant d’ignorer que les deux parties en conflit
et en guerre depuis 1990 n’ont pas toujours évité de susciter un climat
de tension, de méfiance, de violence et de haine au sein de la
population ? Les exactions, les crimes, les massacres et les assassinats
commis sur la population civile et non armée dont les enfants, les
femmes, les personnes âgées et autres, n’ont-ils pas impliqué les deux
belligérants de l’époque ?
Chaque
famille rwandaise (du moins élargie) a perdu les siens, victimes
innocentes, massacrés ou assassinés pendant cette période sombre. De ce
point de vue, tous les citoyens (sans aucune distinction ethnique)
auraient dû avoir droit de faire le deuil ; d’organiser des cérémonies
funéraires et mémorielles des leurs disparus pendant cette tragédie sur
les mêmes bases psycho-sentimentales et de dignité humaine reconnues par
l’État. Faut-il toujours traiter de négationnistes ou révisionnistes
ceux qui relèvent ces points pertinents, dans la recherche de la vérité,
ce qui permettrait de refonder la cohésion nationale sur des bases
solides?
POSSIBILITES DE RATTRAPAGE
En
résumé, la plus grave erreur qui a torpillé la réconciliation et a mis à
mal la réussite de la CNUR et des juridictions « gacaca » c’est qu’il y
a une partie de la population qui n’a pas eu droit de vivre dignement
son deuil, d’exprimer sa souffrance et sa douleur, ou demander que
justice lui soit rendue dans un État de droit. D’ailleurs, il aurait été
logique d’ajouter dans la CNUR, Vérité pour en faire Commission
Nationale de Vérité, Unité et Réconciliation même si ce qui compte n’est
pas les mots mais les actions. Les événements tragiques que le peuple
rwandais a vécus supposaient logiquement l’instauration d’un dialogue
inclusif au cours duquel chacun s’exprimerait sans tabou pour pouvoir
reconstruire le pays et vivre ensemble.
Le
pardon ? L’amnistie ou pas du tout? La poursuite des procès ? La
meilleure réponse ne viendrait-il pas de ce dialogue autour de la table
entre ceux qui, au départ convergent, mais engageront des débats
contradictoires, constructifs et volontaristes pour trouver une solution
visant l’intérêt général de la nation. En effet, la situation de
l’Afrique du Sud aurait pu être un cas d’école. Il est vrai que les deux
situations ne sont pas identiques. Néanmoins, l’ampleur, la gravité, la
violence, l’immense difficulté et complication quant à la recherche de
la solution pérenne est quelque chose de commun pour le cas du Rwanda
d’après génocide et celui de l’Afrique du Sud sortant de l’apartheid.
Les
Sud-africains s’en sont bien sortis. Oui, évidemment grâce à un homme
de charisme et de sagesse exceptionnels que fut Nelson MANDELA. Pourquoi
les Rwandais ne s’en sont-ils pas inspirés ? La plus grave inquiétude
est que les dirigeants actuels semblent se complaire de la situation
socio-économique plutôt que la situation socioculturelle qui s’est
profondément détériorée. Que disent les gens qui osent parler en toute
franchise ? Le jour où les leaders politiques se mettront volontiers
autour de la table pour regarder la réalité en face enfin de résoudre le
problème de mésentente sur le mode de gouvernance et le respect des
droits de chacun; leur réconciliation suivra automatiquement et
impliquera celle des citoyens ordinaires. Qu’est-ce qu’il faut pour que
cela puisse se réaliser ?
Au
regard de positions et les discours tenus par les dirigeants actuels,
ce serait peut-être simpliste de dire qu’il est facile d’arriver à la
réconciliation (par un coup de baguette magique). Néanmoins, (il faut se
détromper ; une bonne, une longue vision et) l’expérience de ce que
nous avons connu ou vu ici et là nous laissent croire que toutes les
parties ont intérêt à se réconcilier. C’est la meilleure voie, surtout
qu’elle est pacifique. Le contraire ne mène à rien de positif, puisque
tôt ou tard le déni de la réalité, le refus de l’autre ou la politique
de l’autruche finissent toujours mal, et l’histoire l’a régulièrement
démontré.
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