by Boniface MUSAVULI
Lorsque se produit un malheur dans la maison d’un être cher, et
qu’on aurait pu le prévenir, on s’en veut pour longtemps de ne pas
l’avoir fait. Le Congo-Brazza et ses chaleureux habitants ont toujours
été pour les Congolais de la RDC une seconde patrie, une terre de répit
durant les moments difficiles, trop fréquents au Congo de Lumumba. Mais
tout ceci risque de devenir du passé en mesure que se renforcent les
relations entre Denis Sassou-Nguesso, Président du Congo-Brazza et Paul
Kagamé, Président du Rwanda. Pour tous ceux qui ont été témoins de la
succession des évènements dans l’Est du Congo au cours des deux
dernières décennies, où un havre de paix, le Kivu, a été transformé en
gigantesque abattoir, il n’y a rigoureusement rien de rassurant dans le
rapprochement entre Brazzaville et Kigali. On est peut-être à la veille
d’une nouvelle catastrophe en Afrique centrale, et l’analyse des
premiers indices n’est guère rassurante.
Une ligne aérienne Kigali-Brazzaville
Un accord de coopération entre Kigali et Brazzaville a été conclu,
et un premier vol, un cargo, a décollé de l’aéroport rwandais vers
Brazzaville le 06 mai 2013 avec à bord 30 tonnes de marchandises[1].
Selon le ministre rwandais du commerce et de l’industrie, François
Kanimba, l’avion transportait essentiellement des produits agricoles
comme la viande, le haricot et de petits poissons séchés.
Il est prévu qu’un appareil effectue chaque semaine un vol avec à
bord des produits agricoles comme les farines de manioc et de maïs, le
haricot, la viande, les fruits, et les légumes. Une information
officielle qui devrait mettre la puce à l’oreille.
Mobiliser un avion pour transporter 30 tonnes de légumes, de fruits,
de farine de manioc,… d’un pays comme le Rwanda qui manque d’espace
agricole (419 hab./km²) vers un pays comme le Congo-Brazza disposant de vastes terres inexploitées (13 hab./km²)…
Par ailleurs, on voit mal une compagnie aérienne rester longtemps
rentable en convoyant des légumes vers un pays couvert au 2/3 de forêt
équatoriale, et qui en produit déjà presqu’en excès. Et des petits
poissons séchés du Rwanda vers un Congo-Brazza qui dispose de 169 km de littoral sur l’Océan Atlantique[2], où il suffit de jeter les filets dans l’eau pour « ramasser » du poisson en abondance.
On peine à croire qu’une telle information officielle a pu passer
sans susciter des interrogations. On comprendrait plutôt que des denrées
alimentaires partent du Congo vers un Rwanda surpeuplé et privé de
terres agricoles.
Qui croit toujours que des avions vont amener, chaque semaine, à
Brazzaville, trente tonnes de légumes, de farines de manioc et de petits
poissons,… ?
Menace sur les réfugiés hutus
Une petite communauté des Hutus rwandais est installée au Congo
Brazzaville depuis 1997. On leur a demandé de rentrer au Rwanda avant le
30 juin dernier sous peine de perdre leur statut de réfugiés[3].
Les 8.000 Rwandais ont fait la sourde oreille et ont donc,
officiellement, perdu leur statut, un choix difficile mais assumé, et il
y a lieu d’éprouver de la compréhension à leur égard.
En effet, ces hommes et ces femmes sont les survivants, voire les rescapés de la Première Guerre du Congo (1996-97)[4].
Nombreux ont quitté le Rwanda à pied pour se réfugier dans l’Est de la
République Démocratique du Congo en juillet 1994, après la prise du
pouvoir par les rebelles tutsis du FPR, le mouvement de l’actuel
Président rwandais Paul Kagamé.
Devoir de mémoire
Certains Hutus seraient même originaires du Nord du Rwanda qu’ils
ont dû quitter, poussés vers Kigali par les combattants du FPR, Kigali
qu’ils vont devoir quitter, à nouveau pour se réfugier dans l’Est du
Zaïre, l’actuelle RDC, en 1994. Mais en 1996, l’armée rwandaise envahit
l’Est du Congo et bombarde les camps du HCR où étaient massés
les réfugiés hutus.
C’est le début d’un massacre à grande échelle que vont subir les
Hutus qui tentent de fuir dans la forêt, à l’Ouest. Ils vont devoir
traverser toute la République Démocratique du Congo, à pied, sur une
distance quasiment entre Moscou et Paris (plus de 2.710 km). Le rapport du Projet Mapping d’août 2010
doit être lu et relu avec attention dans les familles des survivants
hutus du Congo-Brazzaville. Difficile pour ces rescapés des massacres
dans les forêts du Congo, de percevoir avec sérénité le rapprochement
entre Brazzaville et Kigali.
Les autorités de Kigali, qui commencent à perdre du prestige sur le plan international, suite à l’affaire du M23,
craignent, manifestement, que Brazzaville puisse éventuellement servir
de point de concertation des opposants rwandais en exil. Kinshasa est
trop infiltré par les agents du régime de Paul Kagamé. En effet, à la
suite de négociations secrètes entre Joseph Kabila et Paul Kagamé, de
nombreux agents rwandais ont été placés dans les hautes instances des
institutions de la RDC. Cela transparait, par exemple, dans l’affaire
Bosco Ntaganda, telle qu’elle a été commentée par le général rwandais en
exil Patrick Karegeya[5].
Pour les opposants à Paul Kagamé, la RDC n’est pas un pays sûr. Le
Congo-Brazza, en revanche, proche de Paris, aurait pu être un point
d’ancrage dans la lutte contre la dictature rwandaise. Nous sommes donc
plus proches d’une coopération destinée à démanteler la résistance
rwandaise que d’une coopération économique entre le Rwanda de Paul
Kagamé et le Congo de Sassou-Nguesso.
L’affaire de trente tonnes de légumes et de petits poissons rwandais devient dès lors un habillage assez grotesque.
L’ambassadrice britannique à Brazzaville
Et dans ce contexte où se mêlent intrigues et fausses apparences, on
entend parler un haut diplomate britannique. La nouvelle ambassadrice
de la Grande Bretagne à Brazzaville a consacré sa première déclaration à
un sujet assez curieux, lorsqu’on se situe du côté du Congo-Brazza. En
effet, le 07 août dernier, Madame Diane Corner a déclaré que son pays va
travailler avec le Président Sassou-Nguesso « dans la recherche des solutions pour la stabilité et la paix durable dans la région des Grands Lacs »[6].
On s’attend à ce qu’un diplomate étranger à Brazzaville parle de la
Centrafrique, du Gabon, ou de tout autre pays avec lequel le Président
congolais a des affinités « naturelles » du fait de la
proximité culturelle des peuples du Golfe de Guinée. Le
Congo-Brazzaville n’a pas d’expertise dans les conflits de la Région des
Grands-Lacs.
Si les Britanniques parviennent à convaincre Denis Sassou-Nguesso de
s’impliquer dans la crise de la région des Grands-Lacs, il faut
s’attendre à ce que le Président congolais devienne essentiellement un
simple « pion » des Anglo-Saxons qui lui dicteront ce qu’il aura à faire, parce qu’il ne maitrise pas le sujet.
Sachant que ce sont les Britanniques et les Américains qui
parrainent Paul Kagamé dans sa sanglante campagne visant à détruire la
Patrie de Lumumba, depuis près de deux décennies, Denis Sassou-Nguesso
deviendrait un des leurs. Il s’afficherait officiellement comme un
médiateur de bonne foi, mais, officieusement, il jouerait, malgré lui,
le jeu de Londres et Washington à l’origine de l’interminable tragédie
de l’Est du Congo : plus de six millions de morts[7].
Les Congolais du Congo-Brazza ont une histoire millénaire de
fraternité sans tâche avec leurs cousins de l’autre rive du fleuve
Congo. Ils devraient rappeler à leur Président qu’il est au point de
mettre le doigt dans un engrenage qui risque de broyer son peuple comme
les Congolais du Kivu sont aujourd’hui en train d’être broyés.
Gouverner, c’est prévoir, et pour prévoir, il faut savoir méditer les expériences du passé, surtout les plus douloureuses.
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