Wednesday, December 24, 2014

Ndi Umunyarwanda : Apartheid à la Rwandaise

Le programme gouvernemental « Ndi Umunyarwanda=Je suis rwandais » vise tout d’abord à humilier tous les Hutus survivants des crimes de génocide par des méthodes variées de culpabilisation collective, de diabolisation et de déshumanisation. C’est un programme qui a pour effet d'aggraver le traumatisme national et d’éloigner les opportunités d'une véritable réconciliation nationale.
Etty Hillesum, une jeune femme juive de 27 ans morte en 1943 à Auschwitz disait que « Pour humilier, il faut être deux. Celui qui humilie et celui que l’on veut humilier, mais surtout : celui qui veut bien se laisser humilier. Si ce dernier fait défaut, en d’autres termes si la partie passive est immunisée contre toute forme d’humiliation, les humiliations infligées s’évanouissent en fumée. Ce qui reste, ce sont des mesures vexatoires qui bouleversent la vie quotidienne, mais non cette humiliation ou cette oppression qui accable l’âme ».
Les programmes de lavage de cerveau destinés aux participants Hutus dans des camps appelés « INGANDO » font partie de la gamme de ces stratégies. Lorsqu’on remonte dans le temps, l’on constate que ce programme a été d’abord initié le 20 octobre 2005 par Madame Murebwayire Marie à la prison centrale de Kigali. Elle a demandé clairement à tous les détenus, qu’ils soient innocents ou coupables, qu’ils soient en aveux ou qu’ils se déclarent innocents, de demander pardon aux Tutsis au nom de tous les Hutus qui ont participé aux massacres de Tutsis. Parce que tous les tutsis ont souffert du génocide qui a été exécuté par de nombreux Hutus au nom de leurs congénères.
Dans une prédication en 13 points, Mme MUREBWAYIRE Marie a promis aux détenus de les revoir dans les camps INGANDO prochainement. Examinons les 4 premiers points :
1.      Si tu as participé au génocide et que tu n’es pas encore en aveux et capable de demander pardon du fond de ton cœur, c’est toi qui est perdant et tous tes descendants parce qu’il s’agit d’une malédiction congénitale. « Niba warakoze icyaha cy’Itsembabwoko ukaba utari wakemera ngo ugisabire imbabazi zivuye ku mutima, ni wowe wihima, kandi urahima abazagukomokaho bose kuko ni umuvumo karande w’amaraso ».
2.      Acceptes de confesser tes crimes pour mériter le pardon de Dieu et celui de tes victimes sans tenir compte de votre catégorie (de 1 à la 4ème catégorie des crimes). « Wemere kwatura ibyo byaha kugira ngo ugirirwe imbabazi n’Imana n’abo wahemukiye utitaye mu rwego wajyamo ».
3.      Toi le détenu blanchi par les deux procédures Gacaca celle de la prison et celle du village écoute-moi bien : Tu n’es pas innocent parce que le génocide est un crime dont tous doivent assumer qu’on soit innocent ou coupable. « Wowe wafunzwe ugashinjurwa na Gacaca zombi iyo muri Gereza n’iyo ku murenge umva neza : Ntabwo warenganye kuko itsembabwoko ari RUSANGE ku muntu wese iyo ava akagera, waba warishe waba utarishe (Ibyawe biri mu gitabo cya Obadiya 10-15 na Ezkiyeli 36 ». 
4.      Assume toutes les conséquences. Acceptes que tous les tutsis sont des rescapés et que tous les Hutus sont des Interahamwe (massacreurs). « Wemere kwirengera ingaruka zose (Abalewi 26 :40-43). Wemere ko nkuko Itsembabwoko ryabaye rusange ku Batutsi bose (kuko umugambi wari uwo kubatsemba) ni nako ari rusange ku bahutu bose. Bisobanura ngo : Abatutsi bose bacitse ku icumu, naho Abahutu bose ni Interahamwe ».
CLIIR tient à rappeler aux promoteurs de ce programme que la responsabilité pénale est toujours individuelle et jamais collective. Maintenant que le régime du Président Kagame a aboli en théorie les ethnies au Rwanda, le gouvernement instaure la discrimination entre les composantes de la population en créant intentionnellement une scission dans la société rwandaise basée sur  les victimes, leurs bourreaux et apparentés. Ceci afin de mieux soumettre cette dernière catégorie grâce aux conditionnements psychologiques négatifs qu’elle va subir en permanence.
Rapidement, certains ministres et députés ont pris les devants et commencé à demander pardon avant le menu peuple pour montrer l’exemple. En réalité, il s’agissait tout simplement  de courtisanerie pour garder et/ou s’attirer les faveurs d’un régime qui a profité de l’avidité de ces personnalités pour asseoir davantage sa tyrannie sur le peuple rwandais.
Etienne de la Boétie décrivait ces courtisans dans ces termes : « Ce sont donc les courtisans qui se font les complices de la tyrannie, perdant du même coup leur propre liberté. Certains hommes flattent leur maître espérant ses faveurs, sans voir que la disgrâce les guette nécessairement, devenus complices du pouvoir. Ainsi se forme la pyramide sociale qui permet au tyran d’« asservir les sujets les uns par le moyen des autres ».
Dans son communiqué du 21/01/2014, un parti de l’Opposition, le Pacte Démocratique du Peuple (PDP-Imanzi) a fait la déclaration suivante :
« Nous dénonçons fermement  cette politique qui amplifie les divisions au sein du peuple rwandais et instrumentalise son histoire et celle de notre pays; notre patrimoine commun. Alors qu'il était au départ supposé être conçu par et pour la jeunesse, ce programme est devenu gouvernemental après les réunions à huis clos entre, d'une part, les membres des deux chambres de l'assemblée nationale et, d'autre part, le Président de la République, ses ministres et d'autres hautes autorités du pays. Au cours de ces réunions, différentes résolutions ont été adoptées dont notamment celle du lancement dudit programme à l'échelle nationale avant la fin du mois de novembre 2013. Loin d'apporter des solutions aux épineux problèmes auxquels font face le Rwanda et son peuple, le programme "Ndi umunyarwanda" ne fait qu'aggraver la situation. Nous dénonçons fermement  cette politique qui amplifie les divisions au sein du peuple rwandais et instrumentalise son histoire et celle de notre pays; notre patrimoine commun ».
De même, les associations de la diaspora ainsi que les partis politiques d’opposition avaient condamné dans leur déclaration du 14 décembre 2013 dans les termes les plus forts ce programme qui force les personnes à demander pardon pour les crimes qu’ils n’ont pas commis, encore moins au nom de ceux qui les ont commis. Les signataires ont dénoncé la tentative d’entrave de distorsion de l’histoire qui soustrait outrageusement le FPR de ses responsabilités dans les tragédies qui ont endeuillé le peuple rwandais depuis 1990 à ce jour.
Le programme Ndi Umunyarwanda n’a pas fait des victimes que dans la classe politique.  L’emprisonnement du musicien Kizito Mihigo est interpellant car il montre la nature perverse du régime FPR à éliminer tout obstacle qui lui empêche de mener à terme ce programme apartheid. En ce qui concerne cet artiste connu  pour son engagement à honorer la mémoire de toutes les victimes rwandaises, il a chanté dans sa célèbre et émouvante chanson « Igisobanuro cy’Urupfu : L’explication de la mort » les mots suivants :
« Le génocide m'a rendu orphelin. Mais cela ne m'empêche pas d'avoir de la compassion pour d'autres personnes qui ont été victimes d'actes qui n'ont pas été qualifiés de "génocide". Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux...ils ont toute ma compassion...je les porte dans mes pensées ».
Dans cette chanson, Kizito Mihigo fait  le rapprochement du génocide « des Tutsis » avec d'autres "massacres" ou "actes de méchanceté" qui n'ont pas été qualifiés de génocide. Il clame haut et fort sa "compassion" avec ces autres "victimes" qui "sont aussi des êtres humains", dignes de "compassion" et de reconnaissance.
Dans la même chanson, il fait référence, insidieusement, au programme "Ndi Umunyarwanda" en affirmant qu’avant « d’être rwandais » on est d’abord « un être humain= umuntu ». Le Président Kagame a été vexé par la profondeur de cette chanson qui est vite devenue un tube parmi les rwandais de l’intérieur et de la diaspora.
Début avril 2014, Kizito Mihigo a été arrêté et emprisonné parce qu’il aurait mobilisé la jeunesse et collaboré activement avec les partis d’opposition Rwanda National Congress (RNC) et FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda) afin de renverser le gouvernement par l’assassinat de certaines autorités, à commencer par le Président Paul Kagame. Cet emprisonnement arbitraire confirme qu’au Rwanda : « l’homme qui ne parle pas, a peur » tandis que « l’homme qui parle, fait peur ».
Ndi Umunyarwanda a vocation à sceller définitivement dans les oubliettes, l'autre histoire tronquée et interdite: Celle-là que le gouvernement du ‪‎FPR tente par tous les moyens de se soustraire! Au lieu de s’évertuer à fabriquer des programmes idéologiques semant la division et la haine entre les rwandais, le gouvernement du FPR devrait privilégier et encourager toutes les voies qui mènent vers un dialogue national. C'est la seule solution pour établir enfin la vérité, réconcilier et faire cohabiter pacifiquement les rwandais dans une Nation où l'impunité et l'injustice seront bannis.
Fait à Bruxelles, le 22/12/2014
Joseph MATATA, Coordinateur du CLIIR

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